Remise d'une lettre de Descartes
à la Bibliothèque de l'Institut de France
par M. Jean Bonna

Une réponse à Hobbes par l’intermédiaire du Père Mersenne

Descartes, à l’époque où il écrit cette lettre (janvier 1641) vit en Hollande, dans une retraite volontaire. C’est grâce à une correspondance assidue qu’il garde le contact avec les savants, les lettrés et les philosophes de toute l’Europe. Le Père Mersenne (1588-1648), qu’il connaît depuis ses études au collège de jésuites de La Flèche, joue pour lui le rôle d’un intermédiaire et d’un filtre. En effet, depuis le couvent parisien des Minimes où il réside, le Père Mersenne est au centre des réseaux savants de la capitale et, au-delà, de la République des lettres. Pendant presque vingt ans, la plupart de ceux qui souhaitent s’adresser à Descartes le font par l’intermédiaire de Mersenne, et Descartes répond par le même canal.

La lettre récemment offerte à l’Institut par Monsieur Jean Bonna a suivi ce chemin. Elle est adressée à Mersenne, mais consiste en fait en une réponse à Thomas Hobbes à qui le Père Mersenne doit la transmettre. Elle a été envoyée en même temps qu’une lettre réservée à Mersenne, écrite en français, alors que la lettre destinée à être transmise à Hobbes est rédigée en latin, langue de la communication savante à l’époque entre correspondants ne partageant pas la même langue maternelle. Thomas Hobbes (1588-1679) vit alors à Paris où il s’est installé à la fin de l’année précédente pour fuir la guerre civile régnant en Angleterre. Il va y fréquenter régulièrement le cercle du Père Mersenne. En novembre 1640, il avait transmis à ce dernier des objections, aujourd’hui perdues, portant sur la Dioptrique de Descartes, publiée en 1637.
Peu après, Mersenne lui ayant soumis le texte des Méditations métaphysiques, Hobbes rédigea également des objections, transmises par Mersenne et peu goûtées par Descartes, qui furent publiées avec les Méditations.

La lettre de Descartes répond point par point aux objections de Hobbes sur la Dioptrique. Elle inaugure un échange entre les deux philosophes qui se poursuit pendant plusieurs semaines, toujours par la médiation de Mersenne, et devient une véritable controverse. Descartes, conscient de la pertinence des objections de Hobbes, veut clarifier la distinction entre la "détermination" et le "mouvement déterminé", une distinction de grande importance pour le développement futur de la pensée mécanique. La polémique se termine par un refus de Descartes de discuter plus avant : … je crois que le meilleur est que je n’aie point du tout de commerce avec lui, et pour cette fin, que je m’abstienne de lui répondre ; car, s’il est de l’humeur que je le juge, nous ne saurions guère conférer ensemble sans devenir ennemis ; il vaut bien mieux que nous en demeurions, lui et moi, où nous en sommes…", écrit-il à Mersenne le 4 mars 1641. Quant à Hobbes, on rapporte qu’il a dit de Descartes : S’il s’en était tenu à la géométrie, il aurait été le meilleur géomètre au monde… sa tête n’est pas faite pour la philosophie.
Les relations entre les deux hommes restent empreintes d’un mélange de respect mutuel et d’opposition systématique ; ils ne se sont rencontrés qu’une seule fois, en 1648, à l’occasion d’un passage de Descartes à Paris.