Remise d'une lettre de Descartes
à la Bibliothèque de l'Institut de France
par M. Jean Bonna

Une lettre dérobée et retrouvée

Jusqu’à présent, cette lettre était connue par une publication ancienne, dans la première édition de la correspondance de Descartes (Paris, 1667), et par une copie conservée à la Bibliothèque nationale.

Toutes les éditions ultérieures se sont appuyées sur ces deux textes, car l’original avait disparu. En fait, la lettre originale faisait partie d’un ensemble de lettres de Descartes à Mersenne, légué en 1676 à l’Académie des Sciences par Gilles Personne de Roberval et classées par La Hire, un autre académicien.

L’Académie ayant été supprimée pendant la Révolution, ses archives passèrent à l’Institut de France, créé en 1795. Sur les 75 lettres de Descartes à Mersenne dont la présence était attestée vers 1800, 72 furent volées entre 1837 et 1847 par le plus grand escroc de l’histoire de la bibliophilie, le comte Guillaume Libri (1803–1869).

Cet aristocrate italien, mathématicien et historien des sciences renommé, avait été naturalisé français et était devenu membre de l’Académie des sciences, ainsi que professeur à la Faculté de sciences et au Collège de France. Il était aussi un collectionneur passionné, achetant et revendant des ouvrages rares. Employé officiellement au catalogue des manuscrits précieux des collections publiques françaises, il fut un grand prédateur de lettres, de manuscrits et de livres précieux qu’il subtilisait dans les archives et bibliothèques qu’il visitait.

En 1850, Libri fut condamné par contumace à Paris pour ses vols, parmi lesquels les lettres de l’Institut de France étaient expressément citées. Mais il avait déjà fui en Angleterre et avait eu le temps de vendre les documents à des collectionneurs ou des libraires.

La lettre aujourd’hui offerte par Monsieur Jean Bonna à l’Institut de France a été acquise par lui en vente publique à Berlin en juillet 1998, sans aucune mention de provenance. On ne sait rien de son itinéraire entre son vol par Libri et cette vente. La publication récente de l'Oxford University Press qui décrit et traduit cette lettre (Thomas Hobbes, The correspondence, éd. Noel Malcolm, 1994, I, n° 29) ne parle aucunement de son lieu d'origine. La découverte a été faite par Vérène de Diesbach-Soultrait, conservateur de la bibliothèque Jean Bonna, grâce aux diverses marques qu’elle porte (cachet à l’encre rouge de l’Académie royale des sciences, totalement effacé par le voleur ; numérotations anciennes). Ces marques sont en effet identiques à celles qui figurent sur les autres lettres adressées à Mersenne ; on peut aussi les voir sur une autre lettre de Descartes, de la même année 1641, restituée spontanément à l’Institut de France par Haverford College (Pennsylvanie) en 2010.